La bibliothèque des manuscrits anciens à Erevan
Article originellement publié dans le Plus d’Arts et Vie # (Printemps 2009)
« Pour le sot, le manuscrit n’a nulle valeur, pour le sage, il a le prix du monde. »
Anonyme
En arménien ancien, matènadaran signifie bibliothèque et désigne un endroit servant non seulement de dépôt pour les manuscrits, mais également de scriptorium. Il en existait plusieurs en Arménie, sis généralement à l’intérieur d’un monastère, dont certains subsistent encore. Le plus important aujourd’hui est le Matènadaran d’Erevan, également connu sous le nom d’Institut Machtots de recherche sur les manuscrits anciens, qui est l’un des plus riches dépôts de manuscrits et de documents au monde.
Mèsrop Machtots
Le nom de Mèsrop Machtots ne vous dit certainement rien. Pourtant, il est l’un des personnages fondateurs de la culture arménienne puisqu’il inventa l’alphabet arménien en 405. Il donna ainsi le point de départ à deux grandes avancées intellectuelles et artistiques : la littérature, à travers la traduction de textes sacrés et de textes littéraires grecs avant de donner lieu à une production d’œuvres originales, et l’enluminure que les moines arméniens développèrent, explorèrent et dont ils devinrent les grands maîtres. Parallèlement, les Arméniens prirent conscience de l’importance de conserver tous ces trésors en lieu sûr.
Une histoire très ancienne
Les premières traces d’une conservation de manuscrits en Arménie remontent au Ve siècle, avec le matènadaran du patriarcat d’Etchmiatzin. Après 1441 et l’installation de la résidence du patriarche suprême d’Arménie, c’est-à-dire le chef de l’Église apostolique arménienne, à Etchmiatzin, le lieu prend de l’importance. De nombreux manuscrits vont être copiés sur place et dans les monastères des environs, notamment au XVIIe siècle. Progressivement, le Matènadaran d’Etchmiatzin devient l’un des plus importants du pays. Au cours du XVIIIe siècle, les nombreuses attaques que subit la ville d’Etchmiatzin ne feront pas que des victimes humaines. Au sein de la bibliothèque de nombreux manuscrits disparaissent et seule une partie de l’immense collection va survivre.
Histoire moderne
Le XIXe siècle est le témoin du regain d’intérêt exprimé par les Arméniens pour l’archivage des manuscrits. L’Arménie orientale s’unit à la Russie et le Matènadaran d’Etchmiatzin voit son fonds s’élargir. Mais, au moment du génocide de 1915 et de la répression antireligieuse, sauver un manuscrit ne relève plus du simple acte financier, mais se fait au péril de sa vie. En 1929, le Matènadaran d’Etchmiatzin devient officiellement propriété de l’État puis, dix ans plus tard, il est transféré dans la capitale. En 1957, un architecte arménien est sollicité pour réaliser un nouveau bâtiment qui puisse contenir les manuscrits sauvegardés.
Le bâtiment du Matènadaran d’Erevan
Marc Grigorian réalise alors un édifice cubique de basalte gris et de style néo-arménien sur une colline dominant la ville. L’escalier monumental mène à une statue de Mèsrop Machtots et de son disciple, Korioun. De part et d’autre de l’entrée, on reconnaît les grands penseurs, savants, théologiens et philosophes arméniens ayant contribué à la diffusion du livre dans les siècles passés. L’existence de ces “archives” et le bâtiment lui-même témoignent de l’importance accordée au livre dans la culture du pays.
Les collections
Aujourd’hui, le Matènadaran d’Erevan compte l’une des plus riches collections de manuscrits (plus de 17 000) et de documents (environ 300 000) au monde qui abordent quasiment tous les domaines de la science et de la culture antique et médiévale arménienne : histoire, philosophie, droit, médecine, mathématiques, littérature… Afin de faciliter la sécurité et la recherche, il a été réorganisé en institut de recherche scientifique auquel on a ajouté des départements : conservation scientifique des manuscrits, catalogage, publication et traduction des manuscrits, restauration et reliure… Les ouvrages les plus fragiles sont conservés à l’abri dans des conditions bien particulières afin d’éviter toute dégradation, et seuls les chercheurs patentés peuvent y avoir accès. Néanmoins une salle d’exposition permanente et une salle d’exposition temporaire thématique sont accessibles au grand public, permettant au visiteur de se laisser emporter dans le monde merveilleux de ces ouvrages savants et de ces superbes enluminures. Comme un voyage à travers le temps.
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