A Vava Inouva, la berceuse kabyle devenue tube planétaire
Par Flavie Thouvenin
Il est des chansons qui, par la douceur de leur mélodie et la puissance de leurs paroles, traversent les générations et deviennent bien plus qu’un simple air à fredonner. A Vava Inouva, berceuse kabyle composée au début des années 1970 par Idir, appartient à cette catégorie rare. Chanson des veillées au coin du feu, elle a franchi les frontières de la Kabylie pour conquérir les scènes internationales, propulsant son interprète au rang d’ambassadeur d’une culture longtemps restée dans l’ombre.

Idir, la voix de la Kabylie
De son vrai nom Hamid Cheriet, Idir naît en 1945 dans un petit village de la province de Tizi Ouzou. Issu d’une famille de bergers, il grandit dans un univers où la poésie et le chant sont omniprésents, transmis par sa mère et sa grand-mère, toutes deux reconnues pour leur talent de poétesses. Promis à une carrière de géologue, il embrasse celle de la musique presque par hasard, lorsqu’il compose une berceuse pour la chanteuse Nouara et la remplace un soir à la radio algérienne. Ce moment fortuit allait changer sa vie, et, bientôt, celle de la chanson kabyle.
La genèse d’A Vava Inouva
Écrite avec le poète kabyle Mohamed Ben Hamadouche (dit Ben Mohammed), A Vava Inouva est d’abord pensée comme une berceuse. Accompagné de la chanteuse Mila, Idir l’interprète dans une version d’une grande simplicité : une guitare acoustique, deux voix, rien de plus. Mais c’est justement ce dépouillement qui séduit.
Le titre – qui signifie « Mon petit père » – évoque les veillées dans les montagnes du Djurdjura. On y retrouve la chaleur d’un foyer rassemblé autour du feu, les récits des anciens, la bru attentive derrière son métier à tisser, la neige qui bloque les portes du village et les rêves de printemps… Inspirée d’un conte traditionnel kabyle passé à l’écrit par l’écrivaine Taos Amrouche, la chanson reprend l’esprit des légendes transmises oralement de génération en génération. À travers elle, Idir célèbre une culture ancestrale, longtemps reléguée au silence par l’histoire officielle algérienne.


Un succès planétaire
Lorsque le 45 tours sort en 1973, le succès est immédiat en Algérie. Pour la première fois, une chanson en langue kabyle passe à la radio nationale et touche le grand public. Rapidement, elle franchit les frontières : diffusée en France, relayée par les médias internationaux, A Vava Inouva devient l’hymne inattendu d’une région et d’une langue.
En 1976, Idir en fait le titre de son premier album, enregistré à Paris. Devenu l’un des morceaux emblématiques de la musique nord-africaine, la chanson sera traduite en plusieurs langues et reprise à de nombreuses reprises. En 1999, elle renaît sous une forme nouvelle dans l’album Identités, interprétée en duo avec la chanteuse écossaise Karen Matheson, comme un pont entre cultures. Aujourd’hui encore, elle demeure un classique universel, repris par des artistes aux quatre coins du monde.
Héritage et postérité
Si Idir s’est un temps éloigné de la scène, il n’a jamais cessé d’incarner la défense des cultures berbères. Son décès en 2020 a suscité une immense émotion, tant en Algérie et dans ses terres kabyles que dans la diaspora. Avec lui disparaissait une voix unique ; son œuvre, elle, continue de résonner.
À Vava Inouva n’est pas qu’une chanson : c’est un symbole. Celui d’une identité affirmée, d’une mémoire collective sauvegardée et d’un art qui a su, par la grâce de quelques notes et d’un texte poétique, traverser les frontières. Un morceau qui, cinquante ans après sa création, conserve intacte sa capacité d’enchantement.
À écouter
- A Vava Inouva (version originale en kabyle) – album éponyme, 1976, réédité en 1991 : Écouter sur YouTube
- A Vava Inouva 2 (en duo avec la chanteuse écossaise Karen Matheson) – album Identités, 1999 : Écouter sur YouTube
Découvrir nos circuits en Algérie : “Alger et les oasis du nord du Sahara” et “D’Oran aux villes romaines”